Excluons les œuvres d’art de l’”Impôt sur la fortune improductive” et de la taxation des holdings patrimoniales !
Vendredi 14 novembre 2025
FINE ARTS PARIS est signataire de cette déclaration commune des professionnels du marché de l’art, des institutions culturelles, des artistes et des représentants de l’écosystème créatif.
- Impôt sur la fortune improductive : amendement I-3379 (Mattei) et sous amendement I-3910 et I-3916 (Brun)
- Taxe sur les actifs non affectés à une activité opérationnelle des sociétés holding patrimoniales : Amendement n°I-3052 (Rect)
À l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2026 et des amendements déposés après l’article 3, l’ensemble des professionnels du marché de l’art, des institutions culturelles, des artistes et des représentants de l’écosystème créatif souhaitent exprimer leur vive inquiétude face à l’intégration des objets d’art, de collection ou d’antiquité dans le nouvel impôt sur la fortune dite « improductive » ou dans le champ de taxation des holdings patrimoniales.
Ce risque intervient pourtant dans un contexte où la France a retrouvé un rôle central dans l’économie internationale de l’art. Avec 7 % des ventes mondiales en valeur, contre 5 % en 2012, notre pays est désormais le premier marché de l’Union européenne post-Brexit, représentant 54 % des ventes en valeur dans l’UE. Cette position est soutenue par un marché fortement endogène : un vivier unique d’artistes, de collectionneurs, de structures culturelles, d’experts, de galeristes, d’antiquaires et de maisons de ventes aux enchères.
Avec plus de 5 milliards d’euros de ventes, le marché de l’art soutient l’activité de 30 000 artistes français, plus de 60 000 emplois directs et plus de 100 000 emplois indirects, soit un niveau comparable à la publicité ou à l’édition. Les recettes fiscales générées par ce secteur proviennent, pour les trois quarts, de ces emplois et de l’activité économique qui les soutient. En d’autres termes, la valeur économique du marché de l’art – directe ou induite – dépasse de très loin tout rendement fiscal théorique qu’apporterait une taxation au titre de la fortune.
Une contraction du marché provoquerait une baisse du chiffre d’affaires des structures économiques et culturelles du secteur avec, in fine, une baisse de l’emploi, impliquant des pertes fiscales estimées entre 245 et 457 millions d’euros, et entre 305 et 578 millions d’euros en incluant l’ensemble des industries auxiliaires. La stabilité fiscale du secteur est donc un intérêt économique national vital autant que culturel.
Dans ce contexte, l’assimilation des œuvres d’art à une « fortune improductive » ou à des actifs « somptuaires » apparaît infondée et dangereuse.
L’œuvre d’art n’est ni un actif improductif ni un bien somptuaire
Réduire les œuvres d’art à de simples placements financiers, actifs dormants ou biens de luxe ne correspond pas à la réalité. La plupart ne permettent d’espérer aucune rentabilité, et ne sont d’ailleurs pas acquises dans cette logique. Leur conservation a un coût (assurance, restauration, etc.), et leur valeur est loin d’être garantie. Sur le marché, elle peut fluctuer, stagner, se déprécier ou n’exister que pour quelques amateurs.
Une œuvre est avant tout un bien culturel, fruit d’un geste créatif, porteur de mémoire, d’identité et de transmission. Les biens visés ne sont d’ailleurs pas nécessairement des objets de luxe. Du tableau de maître au service de table transmis de génération en génération, nombre d’entre eux relèvent davantage de la mémoire familiale, de l’histoire ou du lien affectif ou esthétique que d’une logique de profit. Une nation se définit aussi par les œuvres qu’elle produit, conserve et transmet. Les traiter comme un actif patrimonial immobile, c’est nier ce qu’elles représentent : de la culture, de l’histoire, de la transmission, et non de la rente.
La France s’est toujours singularisée en défendant une vision républicaine de l’art, comme un objet relevant de l’intérêt général. L’œuvre est un patrimoine commun avant d’être un bien privé. C’est cette exception culturelle qui a encouragé la collection, le mécénat, la transmission, les donations aux musées et l’enrichissement constant de nos collections publiques. L’assimiler d’une œuvre d’art à de la rente ou à un signe extérieur de richesse, pour l’intégrer à une logique de taxation patrimoniale, reviendrait à rompre ce pacte culturel.
Des mesures à contre-sens de leurs propres logiques économiques
Il convient de souligner un paradoxe central : les deux dispositifs prétendent orienter l’épargne vers l’investissement productif ou lutter contre des montages d’optimisation. Dans la pratique, ils frapperaient indistinctement un secteur qui ne relève ni de la rente, ni de l’abus, et dont la vitalité repose justement sur la circulation des œuvres et l’engagement d’acteurs privés.
- S’agissant de l’ « impôt sur la fortune improductive » : un déni du rôle économique des biens culturels
Cet impôt a été initialement présenté comme un instrument redirigeant l’épargne vers l’investissement productif. Or, en France, les œuvres ne sont pas un capital stérile : elles soutiennent l’écosystème de la création et de la diffusion. Artistes, galeries, maisons de ventes, experts, restaurateurs, artisans, encadreurs, transporteurs spécialisés, éditeurs, musées, foires : tous vivent de l’existence et de la circulation des œuvres.
- S’agissant de la taxe sur les « holdings patrimoniales » : un dispositif qui pénalise l’art plutôt que les abus
Le dispositif initial visait à éviter que certains actifs privés soient logés dans des structures sociétaires sans activité économique. Pourtant, l’amendement rectificatif frappe aussi les œuvres d’art, alors même que celles-ci ne sont pas au cœur des pratiques que le texte entend combattre. Surtout, il méconnaît le fonctionnement réel du marché de l’art : dans le monde entier, de nombreux collectionneurs acquièrent des œuvres via des personnes morales — holdings, fondations, sociétés familiales — pour des raisons de conservation, de prêt, de gestion patrimoniale ou de transmission. Assimiler ces modes de détention à des comportements abusifs revient à pénaliser un usage courant, transparent et indispensable à la circulation des œuvres.
En définitive, en taxant le patrimoine culturel, ces mesures manqueraient leur cible tout en frappant un secteur créatif essentiel. Elles ne réorienteraient pas l’épargne, n’empêcheraient pas les abus qu’elles visent, mais affaibliraient ceux qui produisent, financent, exposent, restaurent, expertisent et transmettent les œuvres. Autrement dit, elles frapperaient l’écosystème culturel sans corriger les comportements qu’elles prétendent sanctionner.
Un risque réel de fuite culturelle et économique
Tandis que la France rattrape progressivement la place de Londres dans le système post-Brexit, une taxation de la détention d’œuvres conduirait les collectionneurs à organiser leurs transactions, dépôts et structure de conservation vers la Suisse, les États-Unis ou encore le Royaume-Uni. Ventes cataloguées à Londres ou à New York plutôt qu’à Paris, expositions montées hors du territoire, conservation, expertise et restauration confiées à d’autres places internationales : l’activité se déplacerait.
Les États-Unis ont récemment augmenté certains tarifs douaniers tout en excluant explicitement les œuvres d’art et les antiquités. L’application de ces mesures reviendrait alors à créer un handicap supplémentaire dans un marché international à forte concurrence fiscale. Surtout, la France deviendrait la seule grande place du marché de l’art – contrairement au Royaume-Uni, aux États-Unis ou à Hong Kong – à instaurer une imposition patrimoniale sur la simple détention d’œuvres. Les conséquences seraient immédiates : chute des ventes, externalisation des collections, pertes de mandats confiés aux galeries françaises, aux experts et aux maisons de ventes, relocalisation des enchères.
Cette contraction toucherait ainsi directement les galeries, les maisons de ventes, les antiquaires, les experts, mais aussi toute la chaîne d’emplois qui en dépend. À l’heure où des signes clairs de reprise ont été constatés, y compris grâce aux mesures engagées par les pouvoirs publics, un tel choc reviendrait à casser la dynamique d’un secteur stratégique.
Une menace directe contre le patrimoine national et les collections publiques
Chaque année, les collections nationales et territoriales s’enrichissent d’environ 250 millions d’euros d’œuvres issues de donations, legs, dations et mécénat privé. Sans ces dons, nombre de chefs-d’œuvre ne seraient plus accessibles au public.
Or, la taxation des biens à valeur culturel provoquerait également le retrait des mécènes privés, souvent grands collectionneurs et acteurs déterminants dans la constitution des futures collections publiques.
Les exemples qui ont fondé la richesse des collections françaises – de la dation fondatrice du musée Picasso aux tableaux de Fragonard pour le Louvre, de Caillebotte pour Orsay à de Chirico pour Pompidou, en passant par Manet, Renoir et tant d’autres – témoignent de l’importance de ces transferts. Leur disparition entraînerait un appauvrissement immédiat de notre patrimoine national, sans que l’État soit en mesure d’y pallier, comme en témoigne, par exemple, le budget d’acquisition du Musée National d’Art Moderne, limité à deux millions d’euros annuels.
Une menace directe pour la création artistique et les revenus publics
En affaiblissant les galeries, les antiquaires, les maisons de ventes, les experts, mais aussi tous les autres acteurs économiques du secteur, c’est la création vivante qui serait touchée. Ces intermédiaires financent la production des artistes, leur accompagnement, leur visibilité, ainsi que la protection sociale des artistes-auteurs.
Une baisse des ventes se traduirait par une diminution sensible de la contribution des diffuseurs, des impôts sur les sociétés, des cotisations sociales, de la perception de la TVA et in fine des ressources publiques. L’impôt détruirait l’assiette de l’impôt.
Une mise en œuvre difficile pour un rendement marginal
À tout cela s’ajoute une difficulté pratique de taille : les assiettes de tels dispositifs seraient quasiment impossibles à établir. L’évaluation d’une œuvre, unique par nature, dépend de marchés fluctuants, de transactions privées, de cotes variables, et engendrerait des contentieux considérables. Le coût administratif et le contentieux dépasseraient largement les recettes qu’ils permettraient de collecter.
Les études menées lors des précédentes tentatives d’intégration des œuvres à l’ISF montraient déjà que le rendement aurait été de quelques dizaines de millions d’euros seulement, soit moins de 1 à 2 % de la recette globale d’alors.
Face aux conséquences économiques et culturelles funestes promises, la balance est sans équivoque.
Un appel à la préservation de notre modèle culturel et notre souveraineté artistique
Depuis André Malraux, la France défend une politique culturelle fondée sur l’intérêt général et la reconnaissance du rôle structurant des collectionneurs privés dans la préservation d’un patrimoine commun. C’est ce modèle qui a permis l’enrichissement continu des collections publiques, la vitalité de la création et l’attractivité internationale de notre pays.
Taxer la détention d’œuvres reviendrait à rompre avec cet équilibre, à affaiblir l’écosystème créatif, à encourager le démantèlement du patrimoine et à détruire davantage d’emplois et de richesse que l’impôt ne pourrait rapporter.
Pour toutes ces raisons culturelles, économiques, symboliques et stratégiques, c’est l’ensemble du secteur qui appelle solennellement les décideurs publics à exclure explicitement les objets d’art, de collection ou d’antiquité de l’ « impôt sur la fortune improductive » et du champ de la « taxe sur les holdings patrimoniales ».
Plus qu’un enjeu fiscal, il s’agit d’un choix de société. Depuis plus d’un demi-siècle, le modèle français repose sur un principe simple : l’art ne se taxe pas, il se protège, il se partage, il se transmet. Défendre l’exemption des œuvres d’art, c’est défendre la liberté de créer, de collectionner et de transmettre ; des libertés constitutives de la République.
Plus que jamais, nous nous tenons aux côtés de tous ceux qui ont à cœur de protéger ce qui fonde la richesse et le rayonnement de la France : sa culture, son art, et la vitalité créatrice qui nourrit son identité.
Propositions d’amendements
Après l’article 3 du projet de loi de finances pour 2026
À l’article 965 du Code général des impôts, tel que modifié par l’article 3. I. 3° de l’amendement I-3379,
supprimer le 1° quater :
« 1° quater Les biens meubles corporels. »
—–
Après l’article 3 du projet de loi de finances pour 2026
supprimer l’alinéa suivant visé à l’amendement n°I-3052 (rect) :
« 5. Les biens mentionnés à l’article 150 VI dès lors qu’ils ne font pas l’objet d’une mise à disposition ou d’une ouverture au public ; »
Cette déclaration commune réunit :
- L’ADAGP
- L’ADIAF – Association pour la diffusion internationale de l’art français
- Art Basel
- Art Paris
- La CEA – Compagnie des Experts en Art et Antiquités
- La CEDEA – Confédération Européenne des Experts d’Art
- Le CIPAC – Fédération des professionnels de l’art contemporain
- Le CPGA – Comité Professionnel des Galeries d’Art
- La CSEDT – Chambre Syndicale de l’Estampe, du Dessin et du Tableau
- La CNES – Chambre Nationale des Experts Spécialisés en Objets d’Art et de Collection
- Le Conseil des Maisons de Vente
- La CNE – Compagnie Nationale des Experts
- La DCA – Association française de développement des centres d’art contemporain
- Drouot
- Fine Arts Paris
- La FNEPSA – Fédération Nationale d’Experts Professionnels Spécialisés en Art
- L’Institut Art & Droit
- La Maison des Artistes
- Le Salon du dessin
- Le SFEP – Syndicat Français des Experts Professionnels en Œuvres d’Art et Objets de Collection
- Le SLAM – Syndicat national de la Librairie Ancienne et Moderne
- Le SNENNP – Syndicat National des Experts Numismates et Numismates Professionnels
- Le SNA – Syndicat des Négociants en Art
- Le SNCAO-GA – Syndicat National du Commerce de l’Antiquité, de l’occasion et des galeries d’art
- Le SYMEV – Syndicat national des Maisons de Ventes Volontaires
- L’UFE – Union Française des Experts en objets d’art
